"Quelle est votre plus grande ambition dans la vie ?"
"Devenir immortel... et puis... mourir."

Sur la route qui le ramène à Paris, Michel Poiccard, un jeune escroc, se fait arrêter par un policier qu'il abat avec une arme cachée dans la voiture qu'il conduisait, volée à Genève. Néanmoins, il se rend à Paris afin de récupérer un magot, retrouver Patricia, une américaine, future journaliste qui vend le New York Herald Tribune dans les rues et dont il est tombé amoureux, pour enfin s'enfuir à Rome. Mais les difficultés pour récupérer l'argent s'enchaînent et ses sentiments pour Patricia deviennent de plus en plus flou. Parallèlement, la police retrouve sa trace et se fait menaçante. C'est sous leur pression que Patricia dénonce Michel... Premier long métrage de Jean-Luc Godard, scénario de François Truffaut, début de la Nouvelle Vague... Comme contexte, il y a pire.

Jean-Luc Godard crée l'une des plus grandes oeuvres du cinéma français (et mondial), un modèle du genre ou le réalisateur reprend à son compte certaines ficelles de la série B/Film Noir américain, genre qu'il affectionne particulièrement.
Le rapprochement avec En 4e Vitesse de Robert Aldrich, autre grand film, est inévitable ; un antihéros comme personnage principal et une quête qui débouche sur une issue tragique. Dans l'un comme dans l'autre, on ne sait rien sur les objets morbides convoités, une boîte et un magot. Qu'y a-t-il dans la boîte que recherche Mike Hammer ? D'où provient le magot ? Que contient-il exactement ? On ne le sait pas et on s'en fiche. C'est le Mc Guffin d'Hitchcock, un simple prétexte aux actions qui en découlent.
Plus dure sera la chute, autre référence de la série B américaine (entendons nous, série B signifie film de seconde classe fait avec peu de moyen et non film fantastique de qualité médiocre ; ce n'est pas non plus un terme péjoratif), résonne finalement comme un signe du destin, un ultime avertissement à l'intention de Michel.
Mais celui-ci, inconscient évidemment, ne voit qu'Humprey Bogart, la star qu'il admire et à qui il emprunte l'un de ses tics (il se passe régulièrement le pouce sur les lèvres).
Avec A bout de souffle, Godard se joue des firmes américaines et viole librement le code Hayes, code d'autocensure en vigueur à Hollywood jusqu'en 1966 (le film est sorti en 1960) et montre des gros plans de lèvres qui se joignent ou encore une tâche de sang évoluer dans le dos de Michel.
Il utilise dans ce film un montage osé et risqué (certains ont même dit raté) qui prend le parti de l'imperfection avec de récurrentes sautes d'image.
Aujourd'hui, ça choque encore, ce qui laisse pressentir les réactions de l'époque. Il y a également ce monologue du début, dans la voiture, avant que le meurtre n'ait lieu. Michel parle longuement, regarde la caméra (contre-indication absolue au cinéma) et nous balance un "allez vous faire foutre" qui matérialise l'indifférence affirmé de cette poignée d'artistes/critiques de la Nouvelle Vague, qui osent tout pour l'idée qu'ils se font du septième art, quitte à ne pas plaire.
Une autre allusion à ce mouvement qui prend forme provient de l'intervention d'une jeune femme qui vend, dans la rue, "Les Cahiers du cinéma" et demande à Michel Poiccard s'il n'a rien contre la jeunesse. Il répond "Si, moi j'aime bien les vieux" ; sa mort leurs donnera raison.



 

F. Truffaut et J-L. Godard se sont appropriés ce fait divers pour en faire un film où leurs idées s'expriment. Là où d'autres réalisateurs auraient montré une simple cours poursuite, faisant le parallèle policiers/voleurs, J-L. Godard met de côté la narration et donne un angle nouveau à ce type de sujet. Son escroc/héros a une âme, on le prendrait presque en sympathie, et on découvre ainsi ses préoccupations, sa psychologie.

"Entre le chagrin et le néant, je choisis le néant. Le chagrin est un compromis."
Cette simple phrase fait comprendre aux spectateurs la décision tragique qu'il prend à la fin, celle de ne pas s'enfuir alors que Patricia l'a dénoncé. C'est une preuve pour lui qu'elle ne l'aime pas. Il refuse de vivre plutôt que d'être malheureux.
Godard casse également la règle qui consiste à donner des éléments supplémentaires sur l'état intérieur d'un personnage grâce aux décors, de manière discrète et secondaire. Alors que Patricia et Michel discutent dans une chambre, le réalisateur n'hésite pas à montrer dans un même plan Michel puis fait un travelling sur un tableau (sûrement un Picasso) ou un homme retire son masque, et enfin revient sur Michel pour nous faire comprendre son double jeu et surtout la fin de ce jeu avec Patricia qui ne connaît pas encore la nature de ses activités.
Ce procédé d'insistance, comme un refus du mystère, provoque un décalage qui amènera certains à ce demander : pourquoi ce mouvement ?
Godard est un réalisateur inspiré, aujourd'hui névrosé (dixit Chabrol) qui déjà, à l'époque, intervenait dans ses films. Ce n'est pas à la même échelle que dans Prénom Carmen, par exemple, mais on le reconnaît en lecteur de journal dans une rue et on entend sa voix, déjà lasse à l'époque, et avec ce petit zozotement, dans le cinéma qui diffuse Westbound et où à la fin, les deux amants se retrouvent.

Un dernier mot sur les acteurs. Leurs dialogue sont plus proches de la réalité que bien d'autres films, le vocabulaire ("je veux re-coucher avec toi", merci François) est quotidien et on retrouve les blancs qui rythment une conversation normale. Le jeu des acteurs, propre aux films de la Nouvelle Vague, est très éloigné de la réalité sans être théâtral ou invraisemblable pour autant. C'est une manière hybride de jouer, mais surtout de parler (voir J-P Léaud chez Truffaut, et C. Chabrol qui continue même dans ses derniers films de diriger de cette manière). Quelques-uns ont dit que c'était mal joué, c'est simplement différent. Et puis, tour de force, pour une fois, Belmondo est convenable.
Pour conclure, nous dirons qu'A bout de souffle est un film qu'il est essentiel de découvrir pour comprendre la différence entre l'"avant" et l'"après".
Staxton.Billing


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A bout de souffle
Film français (1959). Policier. Durée : 1h 29mn.

Réalisation, production, distribution
Réalisateur : Jean-Luc Godard
Scénariste : Jean-Luc Godard, François Truffaut
Producteur : Georges Beauregard (Georges de Beauregard), Société Nouvelle de Cinématographie (S.N.C.), France, Imperia Films, France
Distribution : Les Acacias, France

Acteur(s)
Jean-Paul Belmondo : Michel Poiccard
Jean Seberg : Patricia Franchini
Daniel Boulanger : l'inspecteur Vital
Henri-Jacques Huet : Antonio Berutti
Roger Hanin (Antoine Flachot) : Carl Zubert
Van Doude : Van Doude
Claude Mansard : Claudius Mansard
Liliane David : Liliane
Jean-Pierre Melville : Parvulesco
Jean-Luc Godard : le dénonciateur
Jean Domarchi : le pochard
Richard Balducci : Tolmatchoff
Michel Fabre : l'adjoint de l'inspecteur Vital
Andre S. Labarthe : un journaliste
Philippe de Broca (non crédité)
Equipe Technique
Compositeur : Martial Solal
Directeur de la photographie : Raoul Coutard
Directeur artistique : Claude Chabrol
Monteur : Cécile Decugis, Lila Herman